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06/02/2016

6 février 1916

J’ai donc quitté ce matin à six heures la Thibaudette. Je me suis mis en route par un frais lever de soleil et je me suis senti ivre de liberté sur cette route tragique où, seul, je marchais, laissant derrière moi tant de misères et d’horreurs...
Pourquoi n’étiez-vous pas au bout de ce voyage ? C’est que sans doute l'expiation n’est point achevée et que ce répit n’est que la récompense d’un effort insuffisant et qu’il faudra reprendre pour parachever l’œuvre de paix tant attendue.
Devant moi les hauteurs de cette pauvre ville de Clermont, ainsi que Les divins martyrs, dressaient leurs silhouettes nimbées par un soleil d’aurore. Bientôt j'atteignis les premières ruines et je retrouvais les mêmes pénibles sensations (quoique différentes (1) ) devant cette dévastation systématique et barbare.
En effet toutes les maisons ont été incendiées avec une méthode qui confond. Cette petite ville de douze à quinze cents habitants n’en a plus, et pour cause : les soldats de l’arrière qui s’y reposent, les officiers qui ont installé leurs bureaux s’y sont abrités en mettant des toits de fortune sur les murs très rares qui offrent encore quelque résistance.
Je voudrais vous faire partager mon émoi devant ces désastres, mais hélas Je ne sais pas écrire et mon récit ne saurait vous faire imaginer pareille tristesse...
Quittant donc avec recueillement, comme l’on sort des cimetières, cette pénible cité, je repris ma route ; mon cœur se ressaisit à la vue de la nature qui semblait s’éveiller d’un long sommeil à l’appel que lui lançait joyeusement une alouette qui montait droit vers le ciel.
Je trouvais au bout de quelques kilomètres Rarécourt, petit pays insignifiant qui m’offrit son hospitalité. Dans une maison de paysan, le collègue que je venais remplacer me fit les honneurs d’une grande salle, commune à nous mitrailleurs, et me “passa” une petite chambre et un lit pour y reposer mes fatigues anciennes ; je n’y voulais plus penser, mais elles semblèrent se réveiller à la vue de ce confortable relatif.
Puis nous allâmes à travers champs, à 300 mètres environ, voir la position sur laquelle est posée la mitrailleuse contre avions qui doit protéger un Etat-Major constamment survolé par l'ennemi.
Je pris contact avec les hommes qui y montent la garde ; ce poste est composé d’un sous-officier, d’un caporal et de six hommes ; le caporal et deux hommes guettent du lever de l’aurore à la soupe de dix heures et trois autres reprennent de dix heures à la nuit.
Un autre est désigné pour faire la cuisine et le sergent la mange, va se promener et écrit à sa petite femme et à sa chère fille ; puis, la nuit venue, tout le monde va dormir... Demain, la propriétaire me donnera un litre de lait et je pourrai me préparer un chocolat à mon petit lever. Oh, pauvres embusqués, que d’excuses je vous dois... Mais je me suis promis de tout dire : les duretés de cette guerre et ses douces fantaisies...


(1) Je traversai en effet, la première fois, Clermont-en-Argonne par un clair de lune, la nuit où nous quittâmes Avocourt pour le Four de Paris en Juin 1915.

prochaine note : 10 février

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