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09/06/2017

9 juin 1917

Ce soir - Vendredi 18 heures -
Notre déplacement est décidé ; demain, nous retournons au camp I et dans la nuit je monte en ligne. Je vais donc me retrouver en tranchée ; j’en suis satisfait, car rien ne me gêne plus que d’être loin de vous pour un service militaire. En combattant soit, je fais œuvre vive et j’espère utile ; il me faut cette grande compensation morale pour me faire accepter cette douloureuse séparation.
Si je dois vous écrire un peu succinctement ces jours-ci, ne m’en veuillez pas trop ; quand, à mon poste, j’aurai installé mon service et assuré mon secteur, et qu’en moi-même convaincu de vous avoir bien protégées, enfin je serai libre, alors je bavarderai.
Aujourd’hui, sur la route, j’ai reconnu dans un cycliste un de mes clients (Pannard, de la rue de Turin). Je l’ai invité à déjeuner à notre mess ; j’ai pu lui offrir une soupe, un morceau de saucisson de cheval ( immangeable à cause du poivre), de la purée et un jus quasi royal. Il était ravi et ne sut comment s’acquitter.
Depuis le début, près de Mourmelon-le-Petit, à Cuperly, cycliste aux “tringlots’, il ne connaît pas la tranchée et ne souhaite pas la voir dès maintenant ; sa curiosité sera satisfaite après la guerre si l’agence Cook organise des excursions aux lignes de combats. Il y a encore des gens sincères...
Ce pauvre homme, comme chacun, trouve la guerre très longue; néanmoins, il a tait une déclaration, à table, disant : “qu’il fallait tenir car l’Allemagne agonise, car l’Allemagne se meurt... qu’il serait désastreux d’avoir fait tant de sacrifices pour en perdre le bénéfice...” Puis il nous a dit ses craintes de se voir relevé, car il a ses habitudes, il mange à une table et dort dans un lit. L’aléa le trouble....
A entendre ces choses, ma conscience a chaviré et je m’interroge avec anxiété : devons-nous, nous qui sommes entraînés, souhaiter l’arrivée de ces chers “inquiets” qui depuis toujours nous soutiennent et galvanisent notre résistance ?
Dieu seul sait ce q
u’ils souffrent de voir notre impuissance , combien ils tremblent alors que nous semblons fléchir, leur “allant” quand nous nous ressaisissons. Après ces terribles alternatives, peut-on humainement leur offrir de venir à nos côtés ?
Je ne parle pas des souffreteux ; ce sont nos victimes ; c’est notre faute s’ils se sont reconnus tels... La guerre n’aurait qu’à finir que nous les retrouverions, en bonne forme physique, prête à faire le coup de poing pour monter les premiers en autobus, prendre un coin dans un wagon, faire des matches de foot-ball ou conduire les cotillons. Nous ne pensons qu’à nous ; l’homme est un égoïste et le combattant est l’égoïsme même...

prochaine note : 10 juin 2017

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