05/12/2017
5 décembre 1917
(poème du sergent Le Pladec, fonds Félix Basin)
La bague
Il a quitté depuis ce matin la tranchée
Lavé dans le ruisseau sa capote tachée
De vert tendre et de jaune aux parois des boyaux
Nettoyé son fusil rouillé dans les créneaux.
Puis, heureux de se voir pour quelques heures libres
Par ce matin d'octobre, en la forêt qui vibre
A l'infini, semant sa feuille au gré du vent
Il veut travailler seul et s'exile en rêvant.
Il coula l'autre soir dans un moule de pierre
La tête d'un obus tombé sur la carrière
Sous les doigts patients du soldat de chauffour
L'engin va se changer en un gage d'amour
Pendant que vers Soissons, là-bas, gronde un bruit vague
De canonnade, il va ciseler une bague
Dans ce métal qu'hier a vomi le canon.
L'artiste, car on peut l'appeler de ce nom
Se met de tout son cœur à ce charmant ouvrage
Qui s'orne, sous ses doigts, de fleurs et de feuillages.
C'est un arbre où s'enroule un tout petit serpent
Une branche, un bouquet de cerises qui pend
Ou bien un lys penchant doucement sa corolle.
Un cœur sur le chaton, mieux que toute parole,
Saura dire à l'épouse ayant reçu sa foi,
Là-bas dans notre bijou : "Je t'aime et pense à toi!
C'est pour toi que j'ai fait cette chose jolie,
C'est pour toi qu'avec tant de soin je l'ai polie,
Et je veux qu'à ton doigt tu la portes toujours,
Sur l'alliance d'or de nos chères amours.
Cet anneau, c'est un peu de moi que je t'adresse.
Je veux que le dimanche, en sortant de la messe,
Tu le montres, le front de bonheur rougissant,
En disant aux amis : "C'est de mon cher absent!"
Lorsque tu trouveras l'heure plus triste encore,
Que les pleurs dans tes yeux seront tout près d'éclore
Et que d'attendre en vain ton cher cœur sera las,
Ma bague te dira que ton soldat, là-bas,
Ne veut pas que tu pleures et te crie : Patience
Sois courageuse et forte encore... pour la France!"
prochaine note : 23 décembre 2017
06:00 | Tags : première guerre mondiale, poésie, tranchées, bague, champagne, le pladec | Lien permanent | Commentaires (0)