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25/07/2015

25 juillet 1915

Approchez toutes deux et lisez ce terrible récit que je vais essayer de conter à vos cœurs angoissés :
Comment penser qu’un jour viendrait où toutes les catastrophes auxquelles nous avions assisté ne seraient plus rien ? N’avions-nous pas vu les pires choses? Nous avions été témoins au premier jour de cette guerre du départ enthousiaste de ces milliers d’hommes qui quittaient leurs femmes éplorées, leurs vieux parents découragés, leurs sœurs justement inquiètes, leurs fiancées désespérées. Et toutes ces peines, ces malheurs accumulés semblaient ne jamais pouvoir être augmentés...


Cependant le grand drame était commencé ; et pris par traîtrise, nous reculions devant les hordes innombrables et sauvages ; c’était la retraite avec toute sa tristesse et toutes ses horreurs. Pouvions-nous encore voir
pis ? Quel téméraire, quel pessimiste eussent osé le prétendre ? Et la guerre, cette guerre ou plutôt ce cataclysme inventé par les Dieux infernaux, cataclysme que l’on avait cru devoir cesser par suite de sa puissance de destruction même, durait toujours...
Et les victimes s’entassaient formant des montagnes de cadavres sur lesquelles les derniers jetés semblaient atteindre le ciel pour demander grâce... Donc, nous avions vu et supporté les pires horreurs ; rien désormais ne pouvait plus nous toucher dans notre cœur, dans nos nerfs. Nous avions mieux que Dante parcouru tous les cycles des Enfers, enfoncé et reculé les limites de ces lieux de tortures infernales : hélas, nous devions encore subir une catastrophe pire...


Assis à notre pièce, en 1ère ligne, attendant l’attaque possible, nous désirions avec quelque ardeur notre soupe, car les soirées sont longues, les nuits davantage et quand 10 heures arrivent, les fauves ne sont pas plus impatients dans leurs cages que nous dans nos fosses.
Enfin, nous vîmes arriver notre poilu porteur de gamelles, mais une main était libre et cette main avait coutume d’ être embarrassée de ce qui faisait notre plus chère espérance aussi, un froid mortel nous atteignit au cœur tous ensemble. Nous apprîmes cette abomination :


Suivant la route qui vient de Ste-Menehould à Bienne-le-Château, nos voitures d’approvisionnements avaient subi un bombardement en règle : voitures éventrées, chevaux tués, conducteurs blessés ; tout cela était parfaitement rationnel et jusque-là, rien que de très normal ; aucun de nous fait grief à ces Messieurs les Allemands de leur brutalité.


Mais voilà que le Destin avait mis ici son arrêt.
Un sifflement aigu et prolongé se fait entendre ; les arbres se penchent comme pour saluer cette bourrasque qui passe, puis un éclatement lourd suivi d’un déchirement effrayant, tout tremble, la terre est soulevée ; les échos des bois se renvoient ce bruit de Titan ; la poussière et la terre montent en colonne vers le ciel et une fumée opaque remplit l’air.
Un silence de mort succède : un temps et l’on se précipite pour voir : horreur, désolation, déchirement, colère, désespoir, plaintes, sanglots, anéantissement... L’obus barbare est venu dans sa rage aveugle défoncer le fût de vin de la compagnie. Sa majesté Pinard répand maintenant son sang généreux et vivifiant sur ce bon sol de France qu’elle a tant aimé.
Et voilà pourquoi notre bon pourvoyeur, semblable à la statue du Désespoir, se tenait debout devant nous, muet, la face couverte de larmes amères...


 

première guerre mondiale,argonne,tranchées,1914-1918

 

prochaine note: 26 juillet

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