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06/08/2015

6 août 1915

Nous voici donc installés dans un blockhaus en 3ème ligne, pas trop mal, mais on “la crève”. Un morceau de bœuf bouilli très gras et froid voilà le plat de résistance, mais un des nôtres s’est débrouillé et nous avons un morceau de lard, gras lui aussi par bonheur et un oignon ; de suite mes talents de cuisinier se réveillent et je “nous” transforme notre bœuf quasi immangeable en un miroton délicieux ; enfoncé Lucullus.


Devant notre créneau passe un jeune bleu ceinturé de bidons brinquebalants. - Eh, le bleu, où vas-tu avec ton pinard’?
- Du pinard, penses-tu de la flotte, oui..., on boit comme on bouffe, pas souvent, là-haut. (il désigne de la tête la crête maudite).
Tout en causant, il approche de notre taverne ; il hume ; ses yeux brillent d’une flamme qui pour n’être à l’instant que très peu patriotique n’en est pas moins jolie. Cette senteur délicieuse lui laisse pressentir un paradis de rêve. Dieu, qu’il est boueux, sale, hirsute et sympathique...
- “Allons, dis-je, approche et prends une portion chaude.” Un merci rapide, Un geste encore plus rapide, et le couteau sorti avec prestesse, le morceau de boule au poing, les mâchoires entrent en action. Le tic tac de la mitrailleuse nous semblât aller au ralenti eu égard à la rapidité du cliquetis de ses dents.
Je lui fis observer d’avoir à ralentir s’il ne voulait étouffer, mais il semblait
sourd.

Nous pouvions encore partager la pitance, mais le pinard rarissime... Le pinard, espoir suprême et suprême pensée...
- “Allons, faites donner la garde, dis-je, en voyant notre bleu si heureux et si désespéré à la fois, car il dîne peut- être pour la dernière fois.

Et chacun de nous abandonnant quelques centilitres de ce jus merveilleux nous fîmes à notre cadet un septième quart ; et - la générosité vient endonnant - un de nous lui bailla un bout de fromage. Félicité, bonheur, joie...
Enfin il lui faut remonter ; il hésite, semble moins résigné à son sort ; ce que c’est que ce bien-être amollissant... il a retrouvé la joie de vivre, maintenant qu’il a mangé. Ce modeste qui va à la mort est un pauvre sans  famille, sans feu ni lieu, de ceux qui vont de village en village louant leurs bras pour satisfaire l’estomac sans plus; n’ayant rien que ses hardes et
son bissac, ignorant même où commence et où finit le pays qu’on lui ordonne de défendre et pour lequel il va mourir.
Triste... Triste... Triste...
Dieu, quel est ton secret ?


 

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prochaine note: 9 août

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