31/07/2015
31 juillet 1915
Savez-vous que j’ai réussi à me faire monter en ligne un “œuf” et je désire le cuire au plat. Nous n’avons pas de feu et il ne faut pas faire de fumée. Alors ?
Eh bien, voici comment je m’y prends : je prends un journal que je roule en torche bien serrée, je l' allume, j’ai préparé dans une assiette d’aluminium un petit morceau de beurre,
- car j’ai aussi du beurre, oui Mesdames, - je chauffe mon assiette ; mon beurre étant très chaud, j’y casse mon œuf et la flamme de mon Journal suffit à me le cuire.
Et voilà comment un soldat de la 3ème République s’offre un “œuf au plat” au nez des Boches qui n’y voient même pas “du feu”.
Bref c’est la noce, car j’apprends que ce soir nous sommes relevés, mais c’est un repos relatif car nous ne passons qu’à la 3ème ligne ce qui est quelquefois très embêtant cause des tirs de représailles.
prochaine note: 1er août
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30/07/2015
30 juillet 1915
Nuit d’Argonne - Veille attentive ; l’œil se distrait à regarder monter les chandelles lumineuses ; elles sont envoyées des tranchées pour éclairer l’espace libre entre les deux tranchées ennemies afin d’y gêner ou d’y surprendre les travailleurs qui viennent apporter des chicanes de réseaux barbelés.
On entend la fusée partir d’un fusil spécial et immédiatement tout ce qui peut s’agiter sur le sol se plaque et s’immobilise... La fusée se promène une ou deux minutes éclairant ce décor inquiétant ; et puis, l’obscurité revenue, le travail reprend jusqu’à la prochaine fusée ; le cycle de ces opérations régulières et quasi automatiques se répète jusqu’à l’aube à moins qu’une sortie ne se fasse d’une tranchée ou d’une autre et c’est alors un feu d’artifice continu , éclairant lugubrement le heurt des adversaires.
Pendant ce temps, l’artillerie mène toujours sa bacchanale au-dessus de nos têtes allant semer la mort à l’arrière.
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29/07/2015
29 juillet 1915
Notre secteur est assez calme en ce moment. J’ai dû reprendre mon poste au fond du ravin de Courtes-Chausses. Je voudrais bien aller au repos une bonne fois, tout à fait à l’arrière, c’est-à-dire à 8 km environ où l’on ait la tête un peu au calme ; car il est extrêmement fatiguant d’entendre nuit et jour le canon ; cela finit par vous faire mal aux nerfs ; la nuit, même dans les sapes d’abris, on est tourmenté par ce bruit incessant, d’autant plus que dans ces bois très vallonnés, dans ces ravins encaissés, un coup de canon se multiplie par trois : c’est beaucoup trop...
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28/07/2015
28 juillet 1915
Nous avons été comblés de présents utiles : le T.C.F. a fait parvenir près de 5 millions de cadeaux à tous les poilus ; pour ma part, j’ai été gentiment partagé.
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26/07/2015
26 juillet 1915
Aujourd’hui je ne puis vous écrire que rapidement, car on m’a demandé, quoique au repos, de bien vouloir remplacer un sergent mitrailleur malade ; il s’agit de remonter en ligne pour faire confectionner une plate-forme pour placer notre mitrailleuse en cas de retraite.
C’est d’ailleurs moi qui en avais donné l’idée ; on l’avait laissé mijoter car une idée de caporal ou de soldat doit, après avoir passé quelque temps dans l’état de chrysalide, s’élancer un beau matin papillon léger de l’esprit paresseux d’un supérieur.
Nous sommes désolés car on vient d’évacuer notre brave Commandant qui souffre d’une entérite sérieuse ; nous avons insisté pour qu’il revienne, mais nous avons peu d’espoir de le revoir : encore un bon qui s’en va.
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25/07/2015
25 juillet 1915
Approchez toutes deux et lisez ce terrible récit que je vais essayer de conter à vos cœurs angoissés :
Comment penser qu’un jour viendrait où toutes les catastrophes auxquelles nous avions assisté ne seraient plus rien ? N’avions-nous pas vu les pires choses? Nous avions été témoins au premier jour de cette guerre du départ enthousiaste de ces milliers d’hommes qui quittaient leurs femmes éplorées, leurs vieux parents découragés, leurs sœurs justement inquiètes, leurs fiancées désespérées. Et toutes ces peines, ces malheurs accumulés semblaient ne jamais pouvoir être augmentés...
Cependant le grand drame était commencé ; et pris par traîtrise, nous reculions devant les hordes innombrables et sauvages ; c’était la retraite avec toute sa tristesse et toutes ses horreurs. Pouvions-nous encore voir pis ? Quel téméraire, quel pessimiste eussent osé le prétendre ? Et la guerre, cette guerre ou plutôt ce cataclysme inventé par les Dieux infernaux, cataclysme que l’on avait cru devoir cesser par suite de sa puissance de destruction même, durait toujours...
Et les victimes s’entassaient formant des montagnes de cadavres sur lesquelles les derniers jetés semblaient atteindre le ciel pour demander grâce... Donc, nous avions vu et supporté les pires horreurs ; rien désormais ne pouvait plus nous toucher dans notre cœur, dans nos nerfs. Nous avions mieux que Dante parcouru tous les cycles des Enfers, enfoncé et reculé les limites de ces lieux de tortures infernales : hélas, nous devions encore subir une catastrophe pire...
Assis à notre pièce, en 1ère ligne, attendant l’attaque possible, nous désirions avec quelque ardeur notre soupe, car les soirées sont longues, les nuits davantage et quand 10 heures arrivent, les fauves ne sont pas plus impatients dans leurs cages que nous dans nos fosses.
Enfin, nous vîmes arriver notre poilu porteur de gamelles, mais une main était libre et cette main avait coutume d’ être embarrassée de ce qui faisait notre plus chère espérance aussi, un froid mortel nous atteignit au cœur tous ensemble. Nous apprîmes cette abomination :
Suivant la route qui vient de Ste-Menehould à Bienne-le-Château, nos voitures d’approvisionnements avaient subi un bombardement en règle : voitures éventrées, chevaux tués, conducteurs blessés ; tout cela était parfaitement rationnel et jusque-là, rien que de très normal ; aucun de nous fait grief à ces Messieurs les Allemands de leur brutalité.
Mais voilà que le Destin avait mis ici son arrêt.
Un sifflement aigu et prolongé se fait entendre ; les arbres se penchent comme pour saluer cette bourrasque qui passe, puis un éclatement lourd suivi d’un déchirement effrayant, tout tremble, la terre est soulevée ; les échos des bois se renvoient ce bruit de Titan ; la poussière et la terre montent en colonne vers le ciel et une fumée opaque remplit l’air.
Un silence de mort succède : un temps et l’on se précipite pour voir : horreur, désolation, déchirement, colère, désespoir, plaintes, sanglots, anéantissement... L’obus barbare est venu dans sa rage aveugle défoncer le fût de vin de la compagnie. Sa majesté Pinard répand maintenant son sang généreux et vivifiant sur ce bon sol de France qu’elle a tant aimé.
Et voilà pourquoi notre bon pourvoyeur, semblable à la statue du Désespoir, se tenait debout devant nous, muet, la face couverte de larmes amères...
prochaine note: 26 juillet
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