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31/05/2015

31 mai 1915

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Lundi 31 mai 14h

 Ma bien chère Hélène, ma bien chère petite Raymonde,

Sans doute ma fille a dû déjà faire la réflexion "mais pourquoi papa m'appelle-t-il toujours petite alors que vous lui annoncez toujours mes croissances récentes". C'est que voilà, alors que je serais fier, très fier d'avoir une grande jeune fille, (quand les forces partir, je sentirai sa génération prête à me remplacer),  je suis doucement heureux à l'idée de penser que je suis encore le soutien indispensable à cette adolescence. Cependant ce n'est pas sans angoisse que je pense justement à ce soutien que je dois conserver dans cette tourmente, mais j'ai foi en mon étoile, et j'espère avoir encore droit à vivre quelques temps, n'ayant pas assez souffert.

Mais ! Que voilà de pensées  mélancoliques et si vous voulez bien parlons d'autres choses, vous trouverez dans cette enveloppe empruntée à un ami quelques brins de muguet cueillis dans la forêt et que je vous envoie avec tout le bonheur qu'il comporte, puis un petit cœur façonné avec l'aluminium d'un obus allemand, j'ai voulu de ce brin de métal envoyé par haine et pour la mort faire une petite image d'amour. Et je n'ai pu mieux faire que d'y accoler nos deux noms, chère Hélène, je crois que tu ne me démentiras pas en disant qu'ils ont été toujours digne d'être ensemble accolés sur cet emblème. A la première occasion je veux faire une petite bague pour Raymonde car elle peut afficher cela alors que sa maman doit cacher nos sentiments. 

Sans doute vous allez dire que je ne sais ce que je veux car je vais vous prier de m'envoyer des petits colis à nouveau, seulement si vous voulez bien, je vous en ferai la commande avec la nomenclature des articles. Cette idée m'est obligatoire à cause des amis qui reçoivent et dont je suis tributaire. Ainsi quand vous pourrez envoyez-moi 125 gr de chocolat, 125 gr de petit beurre (seulement il faudrait une boite de bois, car le carton est assis par les gros colis), 2 boites de sardines (petites boites), 2 boites de thon. Vous voyez que je ne me gêne pas. Dans la tranchée rien ne peut être acheté, même pas ¼ de vin, que celui du régiment, c'est plus que court pour 24h. A demain j'espère et je vous embrasse bien fort.

Basin

prochaine note: 5 juin

 

 

 

30/05/2015

30 mai 1915

Je n’ai pu donner ma lettre à temps au vaguemestre.
La 2ème ligne où je suis n’est pas précisément le repos et on y regrette la 1ère.
A la première occasion, je vous ferai un récit de choses vues et de peines endurées, mais je puis vous dire tout de suite de réserver votre admiration et votre compassion aux seuls soldats: nos officiers sont loin de connaître la misère et même le travail (bien entendu, quelques exceptions sur certains points). Le soldat, lui, peine, vous pouvez en être convaincues, et on ne semble pas s’en apercevoir.

 

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 prochaine note: 31 mai

28/05/2015

28 mai 1915

Je vais passer six jours de repos dans le Rendez-vous de chasse de la forêt de Hesse - Les journées sont longues et monotones.
Hier, à la tombée de la nuit, j’ai vu passer un triste défilé ; c’était celui du 31e de Melun qui venait remplacer le 89e en ligne au Vauquois. Ah, si vous pouviez voir la lamentable marche de tous ces pauvres bougres ; ils traînent leurs lourds godillots depuis des mois à travers les routes et vont se terrer dans les tranchées ; quelle misère ... Dans ces tristes moments beaucoup souhaitent la mort, mais après un peu de repos, l’espoir renaît à nouveau et on lutte énergiquement pour tâcher de se sortir de là.

Prochaine note: 30 mai

27/05/2015

20 au 27 mai 1915

Remontée en tranchée pour six jours.
On redescend ensuite en 2ème ligne au lieu du repos en arrière - On apprend que l’Italie enfin se range à nos côtés.

 

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 Prochaine note: 28 mai

18/05/2015

18 mai 1915

Notre commandant, brave homme, est toujours heureusement le nôtre ; à son sujet, voici ce que nous lui devons :
Sachez que nous avons été envoyés ici assez vilainement ; j‘entends par là sans aucune sincérité de la part de nos grands chefs de la 165e Brigade.
Dirigés soi-disant sur Verdun pour assurer un service de place, une fois dans nos wagons en gare d’Aubervilliers j’ai pu obtenir d’un homme d’équipe la direction qui avait été donnée au mécanicien ; ce n’est pas sans stupéfaction que je l’ai apprise mais heureusement sans aucune faiblesse ; j’ai cru devoir le dire à mes copains et pendant quelques minutes, il s’est fait un silence un peu lourd.
A Nixeville, un pli a appris à notre commandant qu’il devait nous conduire à Brabant où le Colonel du 3e actif nous attendait pour former un 4e Bataillon. Ce brave homme était abasourdi, il était navré à l’idée de voir ses territoriaux mêlés à ces gens du midi tous jeunes et si différents de caractère de ses beaucerons. Le lendemain, nous fîmes par une chaleur accablante avec notre barda l'étape de Nixeville à Brabant.
A quelques kilomètres du but, nous vîmes sur la route le Colonel du 3e et sa musique qui venait au-devant de nous et quel ne fut pas notre étonnement en voyant notre Commandant s’arrêter surpris devant son chef qui lui sautait au cou... Nous arrivâmes à Brabant en musique devant toute la population restée au pays, à savoir 17 personnes. Le Colonel nous fit un discours plein de tralalas et nous souhaita la bienvenue, mais le plus heureux, c’est qu’il nous apprit qu’il venait de retrouver en notre Commandant son ancien chef (alors qu’il n’était que Capitaine) et qu’il lui laissait la liberté de son Bataillon.
Nous sommes donc très contents de rester entre nous sans être mélangés à l’active.

Prochaine note: 27 mai

17/05/2015

17 mai 1915

Comme je vous l’avais annoncé, je suis au repos depuis hier matin à peu près à l’abri de tous les coups. Mais combien ce repos a été pénible à obtenir: il faut que vous sachiez ce qu’est une relève de première ligne, dans la nuit, sous le bombardement avec un “barda” de tous les diables :
La 3e Cie arrive samedi vers les 10 h du soir ayant attendu à la lisière de la forêt de Hesse la nuit totale.
Quand nous lui eûmes passé la consigne, nous partîmes en file indienne, porteurs de tout notre attirail et en nous défilant  à travers des
boyaux de 1m à 1 m 80 de profondeur sur 50 à 60 cm de large, sans bruit, car à cette heure, le silence profond de la nature n’est troublé que par les coups de canon des partis engagés. Aussi chaque adversaire écoute attentivement tout bruit et s’il surprend un indice capable de lui faire croire à un mouvement, une rafale d’artillerie nous tombe sur le dos et cela en plus du sac, c’est trop...
Ce voyage dans cet étroit couloir parmi les pierres éboulées est d’autant plus dur qu’il faut se courber pour passer dans les endroits inférieurs à la taille d’homme ; enfin, après quelques 800 m on en sort ; alors c’est la marche rapide à travers les prairies où l’on passe : petits ruisseaux, sauts de loups, barrières, terrains bossués et détrempés, tout cela sans pouvoir le prévenir à cause de l’obscurité.
Cela fatigue grandement ; j’ai du repêcher Kremer qui s’était laissé tomber sur les genoux dans un petit ruisseau tandis que Nexon (1) devant moi sortait un caporal embourbé...
Enfin nous voilà à la forêt : 10 minutes pour souffler. Nous sommes à l’abri des fusées lumineuses qui pourraient nous signaler à l’ennemi ; toujours le silence absolu (Oui, Mademoiselle l’écolière, et on n’a pas 10 pour cela, mais on évite les marmites). Sans doute, vous croyez le plus dur passé ; hélas non, cette forêt d’Argonne, quelle horreur... Imaginez une course dans la glaise liquide ; avec la lourdeur de notre chargement chaque pied enfonce et la boue monte jusqu’au-dessus des jambières avec un bruit de “foirade” et il faut faire effort pour arracher sa botte de cette étreinte gluante. Aussi que de fatigue au bout de très peu de temps...
Mais cela s’aggrave encore et le terrain devient impraticable : alors, on a fait abattre quantité de futaies et le chemin est garni de branches transversales pour donner quelque consistance au sol ; seulement, nous sommes dans la nuit et comme l’on pose le pied au hasard, moultes fois on appuie sur le bout d’une de ces branches et l’extrémité en arrive aussitôt dans le nez du voisin.., ce qui cause quelque gaîté car la victime pousse des exclamations aussi variées que pittoresques.
Tout de même, comme tout a une fin, nous sortons de la forêt, crottés, fourbus ; là, nouveau repos en plein air ; puis re-départ : alors, 6 km de route nous attendent.
Arrivés au cantonnement, trimballement de cette colonne à la recherche du coin de ferme qui sera son abri : quelques fausses manœuvres inhérentes à l’imprévoyance de notre fourrier qui est aussi maladroit que possible. Protestation des uns, résignation des autres ; enfin, c’est là, on jette son sac, on prend rapidement sa couverture, on se roule dedans, le bonnet sur les yeux qui font horriblement mal (2) et puis l’on se couche, très, très fatigué  : impossible de se dire un mot de plus, il est 4 h du matin.
Voilà le récit de notre rentrée...
A 7 h on est venu hurler “au jus”. Un 1/4 rapidement avalé, et je retombe sur ma paille ; pas pour longtemps, car le bruit est tel et la poussière si douteuse qu’il est préférable de filer au dehors. Je vais donc au bord de la petite rivière et me fais une toilette en règle ; puis je m’allonge sur l’herbe, je sens que je m’endormirai bien, mais je n’ai pas le temps ; il faut me mettre en quête de victuailles.
Enfin un repas substantiel remet les forces à peu près à leur place ; je voudrais ensuite vous écrire, mais c’est impossible... je vais dormir et je serai ensuite à vous plus lucide.

 

1) Nexon, bon camarade adopté au départ de Paris et qui fait partie de notre petit cénacle, remplaçant Brenot qu’on a renvoyé dans ses foyers (Père de cinq enfants).

2) J'attribue ce mal à la trop grande fixité soutenue les nuits de veille aux avant-postes où l'on peut voir quand même.

Prochaine note: 18 mai