Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/05/2015

30 mai 1915

Je n’ai pu donner ma lettre à temps au vaguemestre.
La 2ème ligne où je suis n’est pas précisément le repos et on y regrette la 1ère.
A la première occasion, je vous ferai un récit de choses vues et de peines endurées, mais je puis vous dire tout de suite de réserver votre admiration et votre compassion aux seuls soldats: nos officiers sont loin de connaître la misère et même le travail (bien entendu, quelques exceptions sur certains points). Le soldat, lui, peine, vous pouvez en être convaincues, et on ne semble pas s’en apercevoir.

 

 30maibis.jpg

 prochaine note: 31 mai

27/05/2015

20 au 27 mai 1915

Remontée en tranchée pour six jours.
On redescend ensuite en 2ème ligne au lieu du repos en arrière - On apprend que l’Italie enfin se range à nos côtés.

 

fin mai 1915.jpg

 Prochaine note: 28 mai

18/05/2015

18 mai 1915

Notre commandant, brave homme, est toujours heureusement le nôtre ; à son sujet, voici ce que nous lui devons :
Sachez que nous avons été envoyés ici assez vilainement ; j‘entends par là sans aucune sincérité de la part de nos grands chefs de la 165e Brigade.
Dirigés soi-disant sur Verdun pour assurer un service de place, une fois dans nos wagons en gare d’Aubervilliers j’ai pu obtenir d’un homme d’équipe la direction qui avait été donnée au mécanicien ; ce n’est pas sans stupéfaction que je l’ai apprise mais heureusement sans aucune faiblesse ; j’ai cru devoir le dire à mes copains et pendant quelques minutes, il s’est fait un silence un peu lourd.
A Nixeville, un pli a appris à notre commandant qu’il devait nous conduire à Brabant où le Colonel du 3e actif nous attendait pour former un 4e Bataillon. Ce brave homme était abasourdi, il était navré à l’idée de voir ses territoriaux mêlés à ces gens du midi tous jeunes et si différents de caractère de ses beaucerons. Le lendemain, nous fîmes par une chaleur accablante avec notre barda l'étape de Nixeville à Brabant.
A quelques kilomètres du but, nous vîmes sur la route le Colonel du 3e et sa musique qui venait au-devant de nous et quel ne fut pas notre étonnement en voyant notre Commandant s’arrêter surpris devant son chef qui lui sautait au cou... Nous arrivâmes à Brabant en musique devant toute la population restée au pays, à savoir 17 personnes. Le Colonel nous fit un discours plein de tralalas et nous souhaita la bienvenue, mais le plus heureux, c’est qu’il nous apprit qu’il venait de retrouver en notre Commandant son ancien chef (alors qu’il n’était que Capitaine) et qu’il lui laissait la liberté de son Bataillon.
Nous sommes donc très contents de rester entre nous sans être mélangés à l’active.

Prochaine note: 27 mai

17/05/2015

17 mai 1915

Comme je vous l’avais annoncé, je suis au repos depuis hier matin à peu près à l’abri de tous les coups. Mais combien ce repos a été pénible à obtenir: il faut que vous sachiez ce qu’est une relève de première ligne, dans la nuit, sous le bombardement avec un “barda” de tous les diables :
La 3e Cie arrive samedi vers les 10 h du soir ayant attendu à la lisière de la forêt de Hesse la nuit totale.
Quand nous lui eûmes passé la consigne, nous partîmes en file indienne, porteurs de tout notre attirail et en nous défilant  à travers des
boyaux de 1m à 1 m 80 de profondeur sur 50 à 60 cm de large, sans bruit, car à cette heure, le silence profond de la nature n’est troublé que par les coups de canon des partis engagés. Aussi chaque adversaire écoute attentivement tout bruit et s’il surprend un indice capable de lui faire croire à un mouvement, une rafale d’artillerie nous tombe sur le dos et cela en plus du sac, c’est trop...
Ce voyage dans cet étroit couloir parmi les pierres éboulées est d’autant plus dur qu’il faut se courber pour passer dans les endroits inférieurs à la taille d’homme ; enfin, après quelques 800 m on en sort ; alors c’est la marche rapide à travers les prairies où l’on passe : petits ruisseaux, sauts de loups, barrières, terrains bossués et détrempés, tout cela sans pouvoir le prévenir à cause de l’obscurité.
Cela fatigue grandement ; j’ai du repêcher Kremer qui s’était laissé tomber sur les genoux dans un petit ruisseau tandis que Nexon (1) devant moi sortait un caporal embourbé...
Enfin nous voilà à la forêt : 10 minutes pour souffler. Nous sommes à l’abri des fusées lumineuses qui pourraient nous signaler à l’ennemi ; toujours le silence absolu (Oui, Mademoiselle l’écolière, et on n’a pas 10 pour cela, mais on évite les marmites). Sans doute, vous croyez le plus dur passé ; hélas non, cette forêt d’Argonne, quelle horreur... Imaginez une course dans la glaise liquide ; avec la lourdeur de notre chargement chaque pied enfonce et la boue monte jusqu’au-dessus des jambières avec un bruit de “foirade” et il faut faire effort pour arracher sa botte de cette étreinte gluante. Aussi que de fatigue au bout de très peu de temps...
Mais cela s’aggrave encore et le terrain devient impraticable : alors, on a fait abattre quantité de futaies et le chemin est garni de branches transversales pour donner quelque consistance au sol ; seulement, nous sommes dans la nuit et comme l’on pose le pied au hasard, moultes fois on appuie sur le bout d’une de ces branches et l’extrémité en arrive aussitôt dans le nez du voisin.., ce qui cause quelque gaîté car la victime pousse des exclamations aussi variées que pittoresques.
Tout de même, comme tout a une fin, nous sortons de la forêt, crottés, fourbus ; là, nouveau repos en plein air ; puis re-départ : alors, 6 km de route nous attendent.
Arrivés au cantonnement, trimballement de cette colonne à la recherche du coin de ferme qui sera son abri : quelques fausses manœuvres inhérentes à l’imprévoyance de notre fourrier qui est aussi maladroit que possible. Protestation des uns, résignation des autres ; enfin, c’est là, on jette son sac, on prend rapidement sa couverture, on se roule dedans, le bonnet sur les yeux qui font horriblement mal (2) et puis l’on se couche, très, très fatigué  : impossible de se dire un mot de plus, il est 4 h du matin.
Voilà le récit de notre rentrée...
A 7 h on est venu hurler “au jus”. Un 1/4 rapidement avalé, et je retombe sur ma paille ; pas pour longtemps, car le bruit est tel et la poussière si douteuse qu’il est préférable de filer au dehors. Je vais donc au bord de la petite rivière et me fais une toilette en règle ; puis je m’allonge sur l’herbe, je sens que je m’endormirai bien, mais je n’ai pas le temps ; il faut me mettre en quête de victuailles.
Enfin un repas substantiel remet les forces à peu près à leur place ; je voudrais ensuite vous écrire, mais c’est impossible... je vais dormir et je serai ensuite à vous plus lucide.

 

1) Nexon, bon camarade adopté au départ de Paris et qui fait partie de notre petit cénacle, remplaçant Brenot qu’on a renvoyé dans ses foyers (Père de cinq enfants).

2) J'attribue ce mal à la trop grande fixité soutenue les nuits de veille aux avant-postes où l'on peut voir quand même.

Prochaine note: 18 mai

13/05/2015

13 mai 1915

4 h. du matin -
Je reviens d’un petit poste au-delà de ma tranchée avec trois hommes. Oh les belles émotions ... Pensez : avoir au bout de son fusil, l’ennemi, dans la nuit et puis, à droite, à gauche, la canonnade : éclairs, projectiles ; et à part ces bruits, pas un son humain...
On serre bien fort son fusil et ... rien ne vient.
Alors les deux heures sont passées et on cède sa place : le devoir est accompli ; c’est plus facile qu’on ne se l’imagine et beaucoup moins dangereux.
J’oubliai de vous mentionner : hier au soir, nous avons dîné par cœur, les voitures ne pouvant venir que la nuit; mais aujourd’hui, nous ferons ripaille.
Hier soir, nous assistions à un bombardement formidable de ce qui reste du Vauquois (un Mont Pelé).
Je suis descendu chercher de l’eau au village d’Avocourt (photo) ; jamais vous n’avez vu pareille désolation : pas une maison debout sur 250 environ ; seule, près de l’Église, une fontaine “Calvaire” a trouvé grâce et l’effet est saisissant de voir les bras tendus de Celui qui avait prêché la paix parmi les hommes.

 

13mai1915.jpg


La nuit et le jour sont pour nous une continuité de temps partagée par les heures de veille et de repos ; soldats à part, on ne voit pas un être humain ; on ne se déshabille jamais ; on se faufile sous terre sur une vague paille pilée et moisie ; on mange à la manière des premiers hommes; nous revoilà à l’âge préhistorique.
Heureusement, le temps est magnifique. Je vais bien, je suis calme et je viens de faire ma barbe entre deux créneaux pendant le bombardement des avions.

Prochaine note: 17 mai

10/05/2015

10 mai 1915

Eh bien voilà, ma première nuit aux petits postes est passée. Beaucoup de fatigue et de peine pour y arriver ; mais aucune émotion de ma part ; je suis convaincu maintenant que si l’émoi doit me prendre, ce sera après le coup reçu, avant : rien à faire.

10mai1915 2014-10-26 001.jpg


Nous sommes en tranchée de 1ère ligne pour six jours sans aucune relève ; les canonnades d’avions sont constantes, c’est très intéressant. Inutile de penser, je crois, à une offensive sur notre front ; les défenses y sont formidables. Attendons les diversions qui viendront certainement.
Je vous prie de n’avoir aucune inquiétude à mon sujet. Je vous souhaite tout le calme dont nous manquons ici ; ma santé est parfaite, je ne souffre que du manque de sommeil ; aussi, dès que je trouve une pierre hospitalière, à toute heure du jour, je m’offre cinq minutes de “roupillon”. Donnez le bonjour à tous les amis de ma part ; dites-leur bien tout ce qu’ils perdent en n’étant pas avec nous.
J’aurai des choses gaies à vous conter en rentrant ; que de bonnes blagues. J’attends avec impatience une lettre de vous, cela, je pense, m’arrivera encore quelquefois.

Prochaine note: 13 mai